Le chemin de croix : pas besoin de spectateurs

Dans de nombreuses églises, le chemin de croix n’est plus vraiment mis en avant pendant l’année liturgique. Pourtant, il y a de bonnes raisons de ne pas ignorer la souffrance de Jésus. La Semaine sainte nous rappellera bientôt ses dernières heures sur Terre. 

Lorsque Jésus sent que ses ennemis l’ont pris pour cible et ne vont plus le lâcher, il prévient ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive » (Mt 16, 24). Les paroles de Jésus s’adressent aussi à chacune et chacun d’entre nous, en particulier à l’approche de Pâques. Quant à savoir si nous y répondrons, si nous nous laisserons interpeller, c’est une autre histoire ! Et même dans les paroisses qui organisent le chemin de croix lors du Vendredi saint, très peu de fidèles sont présents. Notamment parce qu’ils devraient prendre congé pour l’occasion et que très peu d’employeurs permettent à leur personnel de faire relâche le Vendredi saint. 

Prier et contempler

Pourtant, participer au chemin de croix peut représenter une forme de prière profitable. Par la pensée, nous sommes proches de Jésus lors de son dernier voyage dans les rues de Jérusalem. Selon la tradition, le chemin de croix comporte 14 arrêts, nommés ‘stations’. Nous suivons Jésus depuis sa condamnation à mort dans le palais de Pilate jusqu’à son dépôt par deux hommes dans un tombeau taillé dans la roche. À chaque station, nous prenons le temps de parcourir un texte, extrait d’Évangile ou légende transmise, comme le tableau dans lequel Véronique tend son voile à Jésus afin qu’il puisse s’éponger le front.

Vue du calvaire à Moresnet-Chapelle, lieu de pèlerinage
dans le diocèse de Liège (image : G. Geeraerts)

À Banneux ou à d’autres lieux de pèlerinage, on croise souvent des groupes de pèlerins parcourant le chemin de croix en priant. Un bon accompagnateur de pèlerinage propose des incitations à la méditation – bien utiles si l’on est en panne d’inspiration – mais veille également à ce que le silence puisse se faire à chaque station. Il y a quelques années, j’ai eu la chance de participer à un chemin de croix accompagné à Moresnet, près de la frontière allemande. Le père Jos Van den Bergh, montfortain, a fait le lien entre chaque tableau et un moment difficile de sa propre vie. En tant que pèlerin, cela m’a contraint à réaliser le même exercice, en silence. 

La neutralité n’existe pas

Tout comme d’autres formes de prière, le chemin de croix n’est pas ‘gratuit’. Il ne s’agit pas d’une partie de bingo dont le vainqueur a colorié 14 boules sur sa carte. Nous suivons le Christ, croix sur l’épaule, au milieu d’une foule qui le dévisage et le raille : « Venez toutes et tous découvrir un spectacle comme vous n’en avez jamais vu ! » Une foule qui, identique et tout aussi nombreuse, l’acclamait frénétiquement une semaine auparavant. Cela aussi donne à réfléchir… 

Sur le chemin vers la Croix, nous ne pouvons pas être neutres

Pape Benoît XVI

Un jour, le pape Benoît XVI a évoqué, après le chemin de croix du Vendredi saint, le rôle de Ponce Pilate dans le récit de la Passion. Pilate, le plus haut fonctionnaire romain, s’en est lavé les mains : c’était au peuple de décider du sort de ce Jésus. Il a préféré se tenir à l’écart, ne pas se sentir concerné. « Sur le chemin vers la Croix, nous ne pouvons pas être neutres », a expliqué le pape. « C’est précisément parce qu’il a essayé d’être neutre, en voulant rester en dehors de cette affaire, que Pilate a pris une position claire contre la justice. » 

Pour Benoît XVI, 2000 ans après les événements funestes du Golgotha, nous devons nous aussi trouver notre place. Chaque station invite à se repentir : « Le chemin de croix n’est lié ni à un temps ni à un lieu en particulier. La croix du Seigneur étreint le monde entier, son chemin de croix couvre tous les continents et traverse tous les siècles. Nous ne pouvons pas être de simples spectateurs du chemin de croix de Jésus. Nous avons un rôle à y jouer. Où et comment allons-nous nous situer ? » 

Un chemin qui ne s’arrête pas au tombeau

Pour ceux qui ne connaissent pas le chemin de croix, le fait de le prier peut paraître choquant ou même déprimant. C’est compréhensible : beaucoup de chrétiens ont du mal à associer la mort sur la croix, la descente de croix et la mise au tombeau – les trois dernières étapes de la vie de Jésus sur Terre – à la résurrection, même si Pâques en est approche.  

Pour ceux qui ne connaissent pas le chemin de croix, le fait de le prier peut paraître choquant ou même déprimant

Lorsque je suis allé à Lourdes pour la première fois l’été dernier, notre ami Robrecht De Gersem m’avait conseillé d’effectuer le chemin de croix des malades. Ce dernier, construit sur un terrain plat, est physiquement moins rude que l’ancien, qui obligeait les pèlerins à gravir une pente raide pour se rendre d’une station à l’autre.  

Un pèlerin admirant la dernière station du nouveau chemin de croix 
à Lourdes : le Seigneur ressuscité se révèle aux disciples d’Emmaüs
(image: G. Geeraerts)

La symbolique du ‘nouveau’ chemin de croix à Lourdes est particulièrement puissante. Après la 14e station, un arrêt supplémentaire nous amène au Samedi saint. Marie figure sur le tableau, mais chaque pèlerin – qui attend souvent la résurrection avec impatience – peut également s’y reconnaître. Une 16e station représente le Ressuscité lui-même, débordant de vie. Quant à la 17e et dernière station, elle raconte l’histoire émouvante des disciples d’Emmaüs, reconnaissant le Seigneur ressuscité lorsqu’il rompt le pain devant eux. Il n’est pas mort, il est vivant et son amour pour nous est éternel : tel est le message de l’histoire de la Passion. 

Glenn Geeraerts
traduit du néerlandais par Michel Charlier